Que voit un bébé à la naissance ? Comment sa vue évolue dans les mois qui suivent ?

photographie d'un bébé et d'un test de vue

Des centaines de milliers de jeunes parents se posent ces questions chaque année, sans parvenir à trouver des réponses fiables et rigoureuses. On a cru pendant très longtemps que les nouveau-nés avaient une vision vraiment chaotique, sous l’influence de William James, un célèbre psychologue du XIXème siècle, et cette idée perdure aujourd’hui en dépit des découvertes scientifiques récentes.

Puisque beaucoup de nouveaux livres consacrés aux bébés n’intègrent pas ces découvertes, nous avons décidé de rédiger un article synthétique, vulgarisé et à jour des connaissances scientifiques, qui détaille ce que peuvent voir les bébés et la façon dont leurs compétences évoluent après la naissance.

 

Avant d’essayer de comprendre ce que peut voir le nouveau-né, attardons-nous sur les quatre étapes qui composent la vision :

  1. La lumière renvoyée par les objets de notre environnement entre dans l’œil par la pupille, dont l’ouverture s’adapte aux niveaux de luminosité ambiants (comme le diaphragme d’un appareil photo).
  2. Le cristallin fait la mise au point, pour que les images se projettent de façon nette sur la rétine au fond de l’œil (comme les images sur une pellicule).
  3. Les photorécepteurs de la rétine transforme le signal lumineux en informations électriques qui sont envoyées au cerveau via le nerf optique.
  4. Le cerveau interprète cette information électrique pour donner une image mentale claire, permettant d’apprécier les distances, les reliefs, les contrastes, les couleurs du monde qui nous entoure (comme le développement d’une pellicule en photographies).

Pour que la vision d’un être humain soit bonne, ces quatre étapes doivent se dérouler sans accroc. Or, chez le nouveau-né, ce sont les deux dernières étapes qui posent le plus de problèmes. Contrairement à ce qu’on lit généralement dans les magazines et les livres dédiés aux bébés, la deuxième étape de mise au point est innée. Les nouveau-nés sont capables de faire la mise au point des objets situés dans leur champs de vision, qu’ils soient situés à plusieurs dizaines de mètres ou juste devant leur nez.

Avec un bémol toutefois : ils n’ont pas d’emblée un bon contrôle des muscles ciliaires qui permettent au cristallin de faire cette mise au point. Ils vont mettre environ 2 mois, à force de s’exercer, avant de réussir à maîtriser finement ce jeu de contraction musculaire. D’ici là, la précision de leur mise au point va osciller : elle sera parfois juste, parfois trop proche, parfois trop lointaine.

Des difficultés à interpréter les signaux électriques transmis au cerveau

Si les nouveau-nés ont du mal à voir le monde qui les entoure, ce n’est donc pas à cause de la mise au point, mais en raison de la qualité du signal électrique transmis au cerveau et de l’interprétation qui est faite de ce signal. Pour reprendre l’exemple de l’appareil photo, le problème n’est pas la pellicule, mais l’appareil qui va transformer cette dernière en photographies. Deux raisons expliquent ces difficultés : l’immaturité des zones du cerveau associées à la vision et l’immaturité de la fovéa, une zone de la rétine spécialisée dans la vision des détails.

De ce fait, même si votre bébé fait correctement la mise au point des objets qu’il regarde, son cerveau ne parvient pas toujours à lui transmettre une image mentale fidèle à notre monde.

À quel point cette image est-elle infidèle ? Comment se faire une idée de ce qu’ils voient ?

Une étude conduite par l’Institut Smith-KettlewelI à San Francisco a permis de mesurer l’acuité visuelle des bébés et des tout-petits. Au cours du premiers mois, ils ont estimé que les bébés avaient une acuité visuelle de 2/10 sur l’échelle Monoyer. Ce qui se traduit par la capacité à voir les deux premières lignes de ce test optométrique bien connu (le ZU, puis le MCF), qu’on a tous fait un jour à l’école. Dès le 4ème mois, la note monte en moyenne à 3,5/10, voire à 4/10.  Et à 8 mois, le système nerveux et le cerveau sont suffisamment mûrs pour aboutir à une note de 6,5/10, très proche de l’acuité visuelle d’un adulte.

Ne croyez pas cependant que votre nouveau-né ne voit pas clair : même à 2/10, il dispose d’un univers visuel riche. Lorsque vous montrez votre pouce à une distance de 50 cm de ses yeux, il est 6 fois plus gros pour lui que la lettre E du test de l’échelle Monoyer. Cela signifie bien que votre bébé est capable de voir vos yeux, vos lèvres, votre nez, vos sourires dès la naissance. On est loin du « brouillard flou » que décrivent certains ouvrages.

Jusqu’à quel point peuvent-ils percevoir les détails ?

Deux problèmes limitent la capacité des nouveau-nés à bien distinguer les détails : l’immaturité du cerveau, dont nous avons déjà parlé, et l’immaturité d’une zone précise de la rétine spécialisée dans la vision des détails, la fovéa. Contrairement à la rétine périphérique, qui donne une impression générale du champ de vision, la fovéa est spécialisée dans la précision… mais aussi dans la fine perception des couleurs ! Cette immaturité les empêche donc, au moins jusqu’à 2 mois, de bien distinguer les détails et les contours complexes des objets, ainsi que les petites variations de couleurs.

Est-il vrai qu’ils préfèrent le noir et le blanc ?

On voit fleurir de plus en plus de jouets, d’illustrations et de mobiles en « noir et blanc » sous prétexte que les bébés ne percevraient pas bien les couleurs ou qu’ils préféreraient ces deux couleurs.

Les deux points avancés sont plutôt justes : la perception des couleurs est encore en développement et les nouveau-nés sont attirés, de manière réflexe, vers les formes et les figures présentant de hauts contrastes. Or, le noir et le blanc sont les deux couleurs présentant le contraste maximal. Mais pourquoi faudrait-il appuyer cette préférence, alors qu’ils sont également capables dès la naissance de distinguer deux nuances de gris qui diffèrent de seulement 5 % de taux de contraste ? Et qu’ils vont progresser très rapidement en la matière, puisqu’à l’âge de 9 semaines, cette différence palpable est réduite à 0,5 % (contre 0,2 % chez les adultes) ? Ainsi, à deux mois, ils ont une capacité suffisante pour percevoir des nuances aussi subtiles que les ombres des nuages, le clair-obscur d’un visage, le dégradé d’un ciel de l’aube… Tout ce qui fait la richesse visuelle de notre monde !

Peuvent-ils avoir des « couleurs préférées » ?

Les parents ont parfois l’impression que les bébés ont une couleur favorite, souvent le rouge ou le bleu. Même si c’est difficile d’être sûr que le bébé soit bien attiré par la couleur et non par la brillance, les contrastes ou les contours des objets qu’ils regardent, la chose est tout à fait possible.

En effet, contrairement à ce qu’on entend parfois, les bébés perçoivent d’emblée les couleurs, et peuvent, par exemple, distinguer un objet rouge d’un objet vert lorsqu’ils sont bien éclairés. Les récepteurs de la fovéa ne sont pas suffisamment matures pour qu’ils distinguent les différences de couleur subtiles (comme par exemple le rouge-brique et le rouge framboise, ou le bleu pétrole et le bleu canard), mais permettent d’apprécier les couleurs tant que les objets sont bien éclairés et suffisamment contrastés.

D’après le professeur Russel Hamer, éminent chercheur en neurosciences,  il serait sans doute davantage profitable de l’aider à explorer de nouvelles subtilités, par exemple avec des jouets et mobiles bébé richement colorés (mais présentant des nuances de couleurs assez nettes) et des figurines contrastées. Plutôt que de compter uniquement sur des objets du quotidien pour contribuer à son développement visuel, il précise également qu’il vaut mieux interagir avec le bébé et ces objets, par exemple en jouant avec lui ou en lui expliquant ce qu’il voit (les couleurs du mobile, les figurines, son univers…).

Les bébés peuvent-ils suivre des yeux des objets qui bougent ?

Bouger les yeux pour bien voir est essentiel. Mais cela demande une coordination qui n’est pas si simple : les deux yeux doivent transmettre quasiment la même image pour que le cerveau puisse l’interpréter correctement. Et c’est une coordination que les nouveau-nés ne maîtrisent pas à la naissance. Ils vont s’entraîner pendant au moins 8 semaines avant de parvenir à transmettre la même image tout en suivant les objets qui bougent. C’est au cours de cette période qu’on les surprend parfois à loucher, c’est-à-dire à avoir temporairement les yeux dans des directions différentes, comme un strabisme.

Cela ne les empêche toutefois pas de suivre un objet dès la naissance, s’il est suffisamment grand, s’il présente assez de contrastes par rapport à l’arrière-plan et s’il ne bouge ni trop rapidement ni trop lentement. Jusqu’à 3 mois, vous constaterez sans doute que les mouvements des yeux du bébé sont saccadés, parce que la coordination n’est pas encore maîtrisée. Et s’il y a beaucoup d’activité dans la pièce, comme d’autres objets en mouvement, ne comptez pas sur eux pour rester longtemps concentré sur le même objet !

L’immaturité de la coordination oculaire les empêche très probablement d’avoir une vision en 3D à la naissance. En effet, le cerveau a besoin des images fournies par chacun des deux yeux pour recréer une image tridimensionnelle fidèle. De récentes études suggèrent que cette perception de la profondeur de champ ne s’acquiert pas avant le 3ème mois, sans doute même le 5ème mois.

 

En résumé

À la naissance

  • Bébé peut déjà faire la bonne mise au point des objets qu’il voit, mais il ne la réussit pas à tous les coups. Autrement dit, il a tantôt une très mauvaise vue, tantôt une vue acceptable.
  • Sa rétine et l’aire visuelle de son cerveau ne sont pas suffisamment matures pour recréer une image mentale précise et fidèle à partir de l’image projetée sur la rétine.
  • La fovéa, zone de la rétine spécialisée dans la vision des détails, est immature : bébé ne peut pas distinguer finement les détails. L’acuité visuelle du bébé serait d’environ 2/10 sur l’échelle Monoyer, ce qui lui permet toutefois d’avoir déjà un univers visuel riche. Il est parfaitement capable de voir vos yeux, vos lèvres, votre nez, vos sourires dès la naissance., lorsqu’il fait la bonne mise au point.
  • Il est attiré de manière réflexe vers les objets très contrastés, mais parvient à distinguer deux nuances de gris qui diffèrent de seulement 5 % de taux de contraste. Cette préférence ne doit pas nécessairement être renforcée : il va rapidement progresser et a besoin d’être stimulé par des stimuli variés.
  • Il perçoit les couleurs et distingue facilement un objet rouge d’un objet vert si les deux objets sont bien éclairés. En revanche, il ne peut pas différencier les petites variations de couleurs comme le rouge-brique et le rouge-framboise.
  • Il peut très bien avoir des « couleurs préférées ».
  • Il est attiré par les objets qui bougent, mais s’ils bougent trop vite ou trop lentement, il n’arrivera pas à les suivre. Quoi qu’il en soit, le mouvement des yeux ne sera pas bien coordonné avec le déplacement de l’objet.
  • Bébé s’exerce beaucoup à coordonner ses deux yeux pour qu’ils transmettent une image semblable au cerveau : il lui arrive donc de « se rater », et de loucher.
  • Il ne voit vraisemblablement pas le monde en 3 dimensions : il a une image « aplatie » de l’environnement qui l’entoure.

À 2 mois 

  • Le bébé parvient désormais à maîtriser la contraction fine de ses muscles ciliaires, permettant systématiquement la bonne mise au point.
  • Il parvient désormais à distinguer deux nuances de gris qui diffèrent de seulement 0,5 % de taux de contraste (contre 0,2 % chez les adultes). Il est capable de percevoir des nuances aussi subtiles que les ombres des nuages, le clair-obscur d’un visage, le dégradé d’un ciel de l’aube.
  • Il n’est déjà plus attiré par les objets à très fort contraste.

À 4 mois

  • L’acuité visuelle du bébé serait d’environ 4/10 sur l’échelle Monoyer.
  • La coordination des yeux commence à être bien maîtrisée : bébé peut suivre des yeux un objet qui bouge sans saccade.
  • Bébé commence à voir le monde en 3 dimensions, grâce à l’amélioration de sa coordination oculaire et à la maturité de sa rétine.

 

Sources & Références

  1. What can my baby see ? By Russell D. Hamer, Ph.D.* Revised by Giuseppe Mirabella, Ph.D.
  2. Tondel, G. M., and T. R. Candy. 2007. Human infants’ accommodation responses to dynamic stimuli. Investigative Ophthalmology and Visual Science 48:949–956.

Article précédent

Laissez un commentaire